Le temps des bergers (4/5) : Tu es si beau, mon chalet 

↖ Le Planet, commune de Bassins, là où serait mort devant le chalet le berger imaginé Julien Péclard, originaire d’Orny.

Nous avons eu l’occasion de visiter autrefois, il y a dix ou quinze ans, la totalité des chalets de la Vallée de Joux, du plus grand au plus petit. Tournées menées sur deux ou trois ans, pleines d’émotions positives, quand nous allions à la découverte de chalets dont la silhouette ne présentait pas de tares majeures par rapport à ce que la construction était en son origine ; au contraire toutes chargées de déceptions, quand le chalet, n’avait pas su garder ses belles lignes d’autrefois. Parce que pour les besoins d’une modernisation, nécessaire certes peut-être pour nombre de ces bâtisses d’alpage, on avait ouvert de grandes fenêtres dans les murailles, on avait élargi les portes d’écurie, tout cela sans respecter d’aucune manière la ligne générale. Et où les taconnages de ciment faits à l’arrache font taches. 

Reconnaissons que la faute, plus que sur les entrepreneurs qui ne faisaient que ce qu’on leur demandait, reposait sur les architectes pour lesquels la notion d’esthétique, en ce temps-là, leur était totalement inconnue. Ainsi commençait le grand saccage de nos bâtisses d’alpage. Il est vrai que d’aucunes surent échapper à ce type de restauration sauvage et garder leur beauté primitive. 

Car un chalet, ce n’est pas qu’une simple construction, un entassement de pierres surmonté d’un toit vite fait bien fait. C’est aussi un habitat, tant pour l’homme que pour le bétail, un refuge en ces solitudes jurassiennes, pour nous autres qui n’avons pas de grandes montagnes. Et ces chalets témoignent d’ une histoire, longue de plusieurs siècles parfois, faite de beaucoup de peine et de cette patience infinie qu’ont les bergers capables de tenir là-haut les 4 mois d’une saison, mais aussi parfois pendant de nombreuses années, voire plusieurs décennies. Un chalet possède une âme. Celle-ci s’est inscrite dans les murs de chaux, dans les poutres visibles jusqu’au faîte quand il n’y a pas de galetas, dans les anciennes caves à fromage dont le salpêtre transpire encore au travers des murs, comme aussi dans les chambres à lait dont les mats demeurent, inoccupés désormais, mais révélateurs de toutes ces gouilles de lait que l’on versait jadis dans les bagnolets. Et cette âme d’un chalet, si on la sent à l’intérieur, on la comprend aussi quand l’on s’est un peu éloigné de celui-ci pour le contempler avec un ravissement rare dans ses belles lignes que la tôle n’a même pas abimées. 

Il nous faut maintenant suivre Jules Amiguet, berger, qui a eu plusieurs fois la révélation heureuse de tout ce que peut offrir un chalet en terme d’esthétisme et d’émotion. 

Placé sur les hauts, à quelque distance de lui, je vis le chalet dans la clarté du couchant. Et dans ses formes anciennes, presque parfaites, je le trouvai beau. Il était dans la lumière de cette fin de journée d’automne qui n’avait plus cette violence des heures d’été. Et je m’arrêtai pour le voir, le contempler, faire mienne cette image d’une telle beauté que je ne trouvai pas les mots pour la décrire. Mais peut-être qu’il ne fallait rien dire, rester là, silencieux, en admiration seulement, en extase. Et c’était très exactement comme si c’était la première fois, que je le voyais. 

Quelle émotion ! Tu es si beau, mon chalet, tu es si noble. Tu contiens combien de choses en ton espace, entre tes quatre murs ? Tu racontes, Ò mon chalet, combien d’histoires d’hommes ? Ce serait ainsi une longue cohorte de bergers que l’on verrait marcher sur le chemin qui longe la belle clairière, ou qui se déplacerait au cœur même du chalet. Et on les verrait tous aller d’un local à l’autre, de l’écurie à la cuisine, de la cuisine à la chambre à lait, et puis faire trois pas devant pour dresser la tête et voir le temps qu’il fait, tous ces nuages, ces si beaux nuages.
Les bergers, ils aiment les nuages. Les bergers, ce sont des poètes. 

Mais je les laissai pour ne plus voir que toi, mon chalet, si beau tout à coup dans cette lumière où les choses sont douces et bonnes. Suis-je donc un esthète seulement, loin de toute forme de réalité, alors que l’on sait parfaitement que la vie, elle est dure, ici ? Ce sont les formes que l’on a choisies pour toi qui m’émeuvent, encore et toujours, pyramidales si l’on y regarde bien. Et tu es posé là au milieu de la clairière. Posé, non, accordé, à ce sol si dur où rien ne saurait bouger désormais. Tu charmes la clairière de ta présence immobile, immuable, éternelle.

Tu es là. Tu es si beau, tu es même si beau que je n’arrive pas à le croire. Mais qu’importe, puisque je sais, et surtout que je sens, que je suis heureux près de toi. 

Jules Amiguet, berger

↖ La Branette, au-dessus des Bioux, chalet de 1809 resté authentique.

↖ Les Pralets, commune de Bassins. L’ouverture d’une lucarne sur le pan à bise est postérieure à 1970.

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