La route de soi
En novembre 2009, nous nous sommes rencontrés lors d’un Symposium de peinture à Raqqa en Syrie. Parmi une trentaine d’artistes des pays arabes voisins, nous avons peint chacun librement sur la colline de Jabar. Le soleil était éclatant, le vent d’Ouest soufflait, et les horreurs de la guerre civile n’étaient pas encore perceptibles… Malgré nos origines différentes, nos œuvres manifestaient une certaine affinité, comme si le désert et la route de la soie favorisaient notre rencontre, à la croisée des chemins.
A Damas (les trois derniers jours), nous avons visité les musées et aussi les ateliers des collègues. Le soir, en buvant du thé, nous avons beaucoup dialogué sur l’actualité artistique et sur l’idée que l’Art est fondé sur des valeurs universelles. Nous pensons que la diversité des héritages culturels n’est pas un obstacle, mais au contraire une source d’enrichissement mutuel.
En 2011, au cours de La Nuit Blanche à Paris sur les bords de la Seine, au terme d’une grande discussion sur l’approche de l’art contemporain et sur la peinture en général, nous avons décidé de fonder un groupe appelé «Caravane», qui ferait partager notre conception de l’art grâce à des expositions communes. Nous voulons lancer un défi au nouvel académisme de certains courants actuels.
Notre but est bien de participer à la création d’une civilisation multiculturelle fondée sur autre chose que la simple tolérance, sur ce que l’ancien président de la République Tchèque Vaclav Havel (1936-2011) appelait «une véritable coexistence créative». Comment cela? En permettant à chacun d’être qui il veut être et en définissant plus clairement ce qui relie les gens entre eux. Nous espérons que d’autres artistes rejoindront notre caravane.
Mars 2012,
Hélène Jacqz, Ibrahim Jalal,
Michio Takahashi
Le point commun d’Hélène Jacqz, d’Ibrahim Jalal et de Michio Takahashi n’est pas seulement de résider en France, tout en prolongeant des traditions culturelles bien distinctes. C’est d’avoir choisi un mode d’expression pictural exigeant – la peinture – marqué dans leur cas par une évidente spiritualité. Spiritualité dans le sens où Kandinsky parlait «Du Spirituel dans l’art», et non pas référence à une tradition religieuse particulière. Tous trois montrent des œuvres méditatives, longuement réfléchies et lentement mûries qui proposent au regard un support pour la réflexion.
– Geste spontané et rapide chez Hélène Jacqz, ouvert aux beautés du hasard, envol des traces comme dans l’équilibre fragile d’une danse ou d’une acrobatie;
– Profondeur du tableau chez Ibrahim Jalal, dont la lente genèse ne se découvre que peu à peu dans une lecture attentive qui en révèle les strates cachées;
– Légèreté, enfin, chez Takahashi, comparable à celle de voiles superposés, présences pâles, transparences illusoires et soyeuses, mais aussi signes invitant à un parcours secret.
Dans la profusion des tendances de l’art contemporain, multipliant des propositions contradictoires ressenties parfois comme un désert, Jalal, Jacqz et Takahashi ont formé une caravane. J’espère qu’elle ira loin et, pour ma part, j’ai envie de la suivre.
Marc Albert-Levin,
écrivain, critique d’art
Hélène JACQZ
Née à Paris. Après les études à l’ENSBA Paris, elle bénéficie de deux bourses (Fulbright et Lavoisier) pour étudier à la Parsons School of Art de New-York. Elle y séjourne 5 années. Influencée par la peinture américaine, le jazz et l’art des enfants, son travail se renouvelle avec l’importance du rythme et d’une gestuelle qui cultive l’instant présent.
Ibrahim JALAL
Né à Damas, fils d’un père tisserand, dans une maison de couleurs, de patchworks et de tapisseries. Il commence à dessiner à l’âge de 7 ans. Diplômé des Beaux-Arts de Damas et de l’ENSBA Paris. Sa peinture, abstraite, est inspirée par les couleurs, l’esprit et les formes d’art de son pays, la Syrie. Il vit et travaille dans la région parisienne.
Michio TAKAHASHI
Né à Tokyo. Il est initié à la peinture traditionnelle par sa cousine. Attiré par Monet, il vient en France et entre à l’ENSBA Paris. Il rencontre Jean Messagier et découvre chez lui les œuvres de Poliakoff, Manessier, Vieira da Silva. Il fait siens les mots de Messagier «moi, je ne trouve pas, je cherche», en regard du «je ne cherche pas, je trouve» de Picasso.