
« Il est libre Jean-Luc. 
Et c’est notre ami »
C’est ainsi que se terminait le texte de présentation pour Jean-Luc Taillefert dans la dernière plaquette du Clédar.
Oui, il était libre avec ce génie qui semblait infini, au milieu d’une imagination à perte de vue, à nulle autre pareille. Transporté par cette faculté des inventeurs, des créateurs sans limites, inépuisable. Ingéniosité, finesse et inspiration donnaient tout leur sens à son travail.
Il a dessiné des croquis de costumes majestueux, construit des maquettes de décors à l’échelle, déniché les chaussures adéquates, modelé des masques disproportionnés, animé des dromadaires, un bus ou un train plus vrais que nature. Et tant d’autres encore. Avec discrétion, sensibilité et travail acharné.
Il était notre scénographe et nous aurions dû fêter nos vingt ans au prochain Théâtre d’Eté.
Il était notre ami et chacun-e d’entre nous a su apprécier son talent, son aisance, sa façon de toujours trouver une solution pour aider le comédien, pour affiner le tableau ou embellir le décor.
Avec Jean-Luc, chaque accessoire était réfléchi, soigné, changé si cela ne lui convenait pas. Jusque dans le moindre détail, sans aucune fausse note, la mélodie devait être parfaite. De longues heures à penser, à imaginer. Et recommencer, replacer, effacer, reprendre, mesurer. Et s’adapter aux lieux que le Clédar choisissait. Il n’avait peur de rien. Il jouait avec l’espace, le dessinait comme une scène de théâtre alors qu’il n’était que hangar, Grand Hôtel, gare, globe, chapiteau ou garage. Et lorsque le lieu choisi était une salle de spectacle, il mettait le public sur scène et les acteurs dans la salle. Parce que faire simple, cela ne rimait ni avec lui, ni avec le Clédar. Parce que la subtilité et l’effet de surprise devaient prédominer à chaque fois. Pour interpeller, questionner, atteindre notre public. Quitte à déranger. Pourvu que cela touche.
Et l’alchimie fonctionnait chaque fois. La douce folie de l’insolite, du défi prenait toujours des allures de réussite. Finalement ce qui paraissait extravagant au premier coup d’œil - et Jean-Luc savait l’exprimer - devenait chaque deux ans une évidence, une poésie, une invitation, le temps d’un été. Le temps d’un Théâtre. Le temps de passer du temps ensemble. Ces instants joyeux pendant les pauses, lors de repas ou en fin de répétition. Partager, rire, se souvenir, se demander si tout sera prêt pour la première. Il y a tant à faire encore ! Et regarder Jean-Luc coudre, peindre, découper, coller. Avec beaucoup de sérieux, ne pas le déranger, pas maintenant. Lui dire ensuite merci d’avoir trouvé la solution, le petit truc en plus pour aider, pour soulager, pour donner du relief.
Cet été, Jean-Luc nous a montré sa force exemplaire, son courage incroyable, sa lutte contre la maladie, ses allers-retours pour ses traitements. Et revenir à la Vallée de Joux, être là, affaibli, mais présent. Finir son travail, nous observer sur le plateau et vivre avec nous ces moments hors du temps, comme les derniers, mais ne pas oser se le dire. Ces moments suspendus et qui resteront à jamais.
Jean-Luc Taillefert s’est envolé. Il est libre.
Et il sera toujours notre ami.
Il va nous manquer. Tellement.
Dans nos larmes se mélangent des mercis pour tout, des amitiés profondes, ce petit souvenir personnel avec lui, la belle complicité de ces 18 années avec nous et tous ces lendemains, dorénavant, sans lui.
Nous pensons particulièrement à ses compagnons d’aventures, ses amis de longue date au théâtre comme dans la vie : Michel Toman, Benjamin Knobil, Salvatore Orlando, Christophe Pitoiset, entre autres. Et à son très cher mari Thierry Pillon. Et à toute sa famille.
Pour la Compagnie du Clédar,
Valérie Sanchez-Rochat
