
↖ Le Pré d’Etoy résiste à tous les hivers depuis 250 ans !
Texte paru dans la Feuille d’Avis de La Vallée le 27/11/1923
Introduction
Le texte qui suit, vraiment magnifique et plein d’émotion, malheureusement non signé, s’était perdu parmi la profusion des articles publiés semaine après semaine, année après année, par notre bonne vieille FAVJ. Il méritait pleinement un retour au grand jour et une nouvelle place dans notre présent. Il illustre en un raccourci émouvant tout le charme et toute la magie aussi que distillent ces vieilles bâtisses perdues dans la montagne alors qu’elles ont été abandonnées par l’homme. Et si celui-ci y revient, ce ne sera que pour quelques heures, le temps de se reprendre et de manger une morce, à la limite de passer une nuit, que l’on imagine, en cette froidure des lieux, dans un vieux lit ou sur le foin ou la paille. Et si l’on n’est pas équipé façon moderne, c’est-à-dire muni d’un sac de couchage des plus performants, ce sera alors plus une épreuve virant au cauchemar qu’une nuit de bonheur paisible dans un vieux chalet.
Vous aviez lu il y a quelques semaines un texte consacré à la montée à l’alpage, un écrit tiré du patois combier, au style naturellement lent, sobre, voire parfois un rien naïf, un ton qui a pu surprendre. Nous souhaitons que vous l’ayez néanmoins apprécié et nous pensons qu’une deuxième évocation liée à la montagne ne vous déplaira pas non plus.
Gentiment blotti au pied du grand rocher que domine la belle croupe blanche, le vieux chalet s’endort…
Novembre est venu et la première neige a fait plus blanc le géant là-haut, recouvrant de son manteau les pentes, tout près.
Depuis quarante jours les belles vaches brunes ou tachetées sont descendues dans la vallée, abandonnant pour de longs mois l’alpage aux herbages odorants.
Puis les bergers sont remontés, ont emporté les ustensiles de laiterie, bancs grossiers, outils divers et les fromages aussi…
Maintenant, le voilà seul, le vieux logis rustique que les ans ont noirci ! Tout seul, perdu là-haut !
Peut-être un jour, remontant péniblement le crêt voisin, un skieur fatigué, surpris par la bourrasque et la nuit, s’en viendra-t-il chercher asile sous son toit hospitalier.
Il me souvient d’une de ces haltes imprévues et jamais je n’en oublierai le charme.
La journée s’était faite rude et la bise sur le sommet vaincu soufflait bien fort, gerçant les lèvres, rendant les membres gourds…
En bas, la nuit doucement enveloppait la grande nature silencieuse ; seul le sommet, tout là-haut, émergeait de l’ombre sa superbe coupole neigeuse délicatement auréolée par les derniers reflets du couchant.
Combien fut douce cette arrivée dans la vieille cuisine.
Pas luxueuse, la pièce, avec son plancher de grosses pierres rugueuses, ses solives noircies par la fumée et les ans, supportant les bardeaux vieillots mais solides encore.
Pas luxueuse, non ! mais combien confortable quand sur l’âtre brille une flamme claire.
Un vieux bassin de bois sert de siège, et pendant que se prépare le repas, alors que les membres doucement se détendent à la chaleur du foyer, qu’il fait bon rêver !
Dehors, la nuit s’est faite complète, seule la bise de sa voix rageuse trouble le silence de la montagne.
La lumière maigre d’une lanterne, aidée par la pâle lueur de la braise, éclaire le logis, donnant aux choses des formes indistinctes et troublantes… Et le servant du chalet, accroupi quelque part là-haut sur les grosses poutres, doit grimacer bien fort en se moquant de ces intrus tardifs !
Oh oui, qu’il fait bon rêver et comme trotte la pensée !… Merveilleux tableaux des choses vues, étrange amalgame de sommets altiers, de sombres baumes ; paisibles regards sur les pâturages.
Tout cela ! C’était hier, c’était pour toi, mon cher chalet, les beaux jours de l’été.
Maintenant, le grand linceul hivernal s’est abattu sur tes épaules et ton toit ne se distingue plus au milieu du paysage immaculé.
Dors, vieux solitaire ! Rêve à ton tour à la belle montagne blanche ! Rêve au grand sommet qui te garde.
Dors paisible en attendant le renouveau et que le Maître, qui créa les montagnes, te garde et te protège.

↖ Là-bas où l’on s’était peut-être rendu avant de s’arrêter au vieux chalet.