Histoire : Eugène Vidoudez nous raconte des histoires d’autrefois

2. Le Pisse-Vache

Un Combier m’avait dit il y a longtemps qu’un citoyen de son village avait visité tous les pays d’Europe mais qu’il n’était jamais monté au Mont-Tendre !

L’abondance des sites grandioses, la richesse et la diversité des paysages, l’impressionnant patrimoine culturel, font de la France l’un des plus beaux pays du monde.

Dans ce petit coin de pays, au fond du Bas-du-Chenit, pas d’habitations troglodytes, pas de gorges tumultueuses, pas de châteaux majestueux. Cependant on peut toujours rêver en parcourant notre région où, dans une dimension plus restreinte, d’innombrables curiosités nous attendent en toute modestie et discrétion.

Alors partons faire un petit tour où l’homme est en symbiose avec la nature, au Pisse-Vache.

Les visites au « canyon » du Pissevache ne doivent pas être particulièrement nombreuses !

Ce petit cours d’eau méconnu qui prend naissance aux Grands Plats de bise, qui l’a cheminé ? Pas grand monde ! Et pourtant il est déjà signalé sur un plan levé en 1737 en deux mots : Pisse-Vache. Il se trouve à un kilomètres au sud-ouest du Biblanc. Près de sa source, il y avait autrefois un de ces beaux bassins typiques creusés dans un tronc de sapin. Tombé en décrépitude, il n’a malheureusement pas été remplacé, même par un moderne à l’emplissage automatique. L’eau s’écoule gentiment jusqu’à l’Orbe enjambée par trois chemins forestiers et la route internationale. Puis le ruisseau se disperse en delta depuis quelques décennies jusqu’à la rivière.

Parcourir à contre-courant ce petit vallon idyllique façonné par le ruisseau est un enchantement. Il y a là matière à satisfaire la curiosité d’un botaniste, d’un naturaliste ou d’un géologue. A mi-chemin, entre la route et le bas de la côte, on aperçoit un banc de glaise grise puis jaunâtre. Dans le premier j’ai eu la surprise de découvrir des feuillets gypseux. L’ami Jean-Paul Guignard ne croit pas qu’ils se sont formés ici, mais qu’ils y ont été amenés. Mais comment ? Première hypothèse : juste au-dessus, tout en haut de la côte, passe la route du Biblanc aux Grands Plats avec son virage à gauche à la sortie du bois. Or depuis de nombreuses années je remarque que les « petits » entrepreneurs peu scrupuleux déversent en contrebas de ce virage des gravats de démolition, bois, béton, plâtre, ferraille, etc., y compris les emballages de toute nature qui contenaient les boissons qui ont désaltéré les démolisseurs. On peut émettre l’hypothèse que certains de ces déchets pourraient petit à petit venir s’agglomérer à cette glaise très grasse. D’autres hypothèses sont à étudier.

En poursuivant la montée quelques dizaines de mètres, à l’intérieur de la forêt, on se trouve face à une splendide chute d’eau au débit variable selon la quantité et la vitesse d’écoulement qui peut aller du filet droit à la cascade en zigzags. Impossible de suivre le courant. Il faut contourner la falaise pour rejoindre le ruisseau plus haut. Et on arrive au premier chemin forestier dans une courbe. Entre celui-ci et le deuxième, c’est plus escarpé et on se retrouve à nouveau devant une falaise rocheuse et un défilé qui permettrait de la franchir, mais il est obstrué à la base par d’innombrables branches et de troncs entrecroisés. Si je pose le pied, va-t-il passer au travers ? Je choisis de m’arrêter un instant avant d’en faire le détour et d’écouter le frémissement du vent dans les feuillages et le chant des oiseaux et contempler la sérénité du lieu. On entend au loin le vrombissement des bolides qui dépassent sur la route internationale et qui nous rappellent à la réalité de l’agitation quotidienne. Mais on ne voit personne et personne ne nous voit, sauf peut-être le renard qui a sa tanière à proximité. Il n’y a plus de m’as-tu-vu. Donc à déconseiller à celui qui adore s’admirer en photo dans le journal, la flûte de champagne à la main au cours d’une réunion mondaine. Je vois déjà la réaction de ceux qui, en lisant cela, vont opiner la tête de haut en bas et ceux, plus nombreux, de droite à gauche !

Mais revenons à notre ruisseau dans sa splendeur toute modeste. Un petit effort est encore nécessaire pour contourner une dernière petite falaise et gravir une rapille assez abrupte avant d’atteindre le chemin qui mène à la Combe des Agneaux et au refuge Churchill, le traverser pour aboutir quelques mètres plus haut à la source.

Eugène Vidoudez

Carte annexe au guide de la Vallée de l’Orbe, 1933. Le Pissevache est à gauche du Biblanc. Il prend naissance à la base du pâturage des Grands Plats pour se jeter dans l’Orbe en dessous du chalet de la Burtignière, pas loin du pont joignant Praz Rodet. Le nom de Pissevache se lit seulement sur la carte de 1737.
Carte de la région de Praz Rodet, 1737, extrait, archives de Morges.

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