Histoire : Mon pauvre local

 

Souvenez-vous. En 2010 le village des Charbonnières, en son Conseil général et son Conseil administratif, mettait la clé sous le paillasson, les actifs et passifs repris par la commune du Lieu.

Dans les actifs, le petit alpage de la Palestine et le local, soit grande salle, bâtiment qui, à vrai dire coûta toujours plus qu’il ne rapporta, situation tout à fait logique, la culture n’ayant pas de prix !

Nous sommes en 2022. Décision a été prise démocratiquement par la commune du Lieu de vendre le dit local à une société qui aurait charge de l’araser et de construire en lieu et place un immeuble locatif.

Mon pauvre local, en ce flamboyant mois de mai, tu as disparu. Par le haut, le toit, les tuiles, les lambris, les poutres, les tronçonneuses égayèrent notre village pendant plusieurs jours. Puis au tour des murs eux-mêmes. Restait il n’y a pas longtemps, en fin de semaine, le dernier de ceux-ci, l’arrière du bâtiment, dressé là comme un reproche de ce qu’on avait fait subir à notre pauvre local. De bonnes sonnées le jour fatidique et le bâtiment n’existait plus, les camions emportant au fur et à mesure les gravats résultant de cette démolition.

Ainsi donc nous autres habitants ou habitantes des Charbonnières avons-nous vu disparaître sans une larme un bâtiment qui avait accueilli pendant 84 ans une part importante de la vie sociale du village.

Pose symbolique de la « première pierre » par le président du village de l’époque, Jules-Louis Rochat. 1938.

Combien de soirées, combien de lotos, combien de manifestations diverses, dont autrefois, enfants, les fameuses séances de cinéma du ski-club, où l’on repassait inlassablement les séquences filmées du ski-jöring, des concours de saut ou de slalom à la Combe ou d’une fête à la Palestine. On y logeait aussi les militaires quand ceux-ci fréquentaient encore le village deux fois par an au moins, avec cuisine au collège. On passait à côté, par les fenêtres de la cave ouvertes, ça sentait en plein la tambouille militaire.

Au local encore, c’est là que l’école allait procéder à ce que l’on appelait la gym. On laissait là-bas nos savates de sport, nos espadrilles bien minables et bien légères, blanches ou bleues, dans les casiers qui servaient aussi de sièges. Des grilles permettaient d’aérer tout cela qui sentait bon la poussière et les pieds! On faisait des exercices aux espaliers, on jouait au ballon, on courait autour de la salle, on grimpait aux perches, à peine transpirait-on, cependant. Une gym plutôt tranquille et bien de son époque.

Retour de gym au pied du Crêt-du-Puits sous la direction de l’institutrice Françoise Nicollerat qui nous photographie. 1952.

Un œil sur les soirées de la société de gymnastique, ou participaient hommes et dames ou demoiselles. Pour les hommes, le reck et le grand tour, nos gaillards étaient vraiment formidables, et là, en salle, à la sortie, ils ne risquaient pas de retomber dans un poulailler, histoire que l’on racontait pour un tel exercice effectué dans une régionale quelconque! Pour ces dames ou demoiselles, les ballets, où les costumes légers et courts permettaient à une salle pleine, pour une fois, de se rincer l’œil à bon compte! Et puis venait le spectacle, des pièces de théâtre bien de leur époque, avec toujours les mêmes acteurs, et toujours cette même manière campagnarde de jouer, mais cela faisait rire, car l’on tentait, mais sans peine, de reconnaître quel était le guignol grimé de la sorte, avec un chapeau haut de forme ou melon. Des portes s’ouvraient et se refermaient, on parlait fort, on tentait d’imiter sans toujours convaincre. Mais ce n’était là qu’un détail, on se satisfaisait de ces facéties mises en page par des auteurs de seconde zone spécialisés dans les niaiseries de boulevard ou les lourdes vaudoiseries paysannes sans vraie profondeur. Sans conséquence, c’était justement ce qu’il fallait: distraire. On avait coulé trois ou quatre heures plus tôt!

Au local toujours, on préfère ce terme familier plus proche de ce qu’était ce bâtiment que de le traiter de grande salle, ce qui nous semble par trop commun, dans la petite salle du haut, se tenaient les assemblées de village. Ces dames quant à elles s’y rendaient pour la couture. Elles aimaient ça, car à défaut de refaire le monde, elles pouvaient au moins faire le tour du village! Les ventes, quand venait le printemps, toujours au local mais dans la grande salle, n’étaient pas tristes non plus!

Y avait eu dans ce local une bonne part de la vie sociale de ce village de perdition, puisqu’il aura bientôt tout perdu, même son âme sans doute. Il faut le croire, puisque personne ne s’est opposé à cette démolition, sauf un qui a eu le courage de le faire. Le soussigné non, aussi indifférent, aussi peu sensible, aussi répréhensible que tout un chacun. C’est triste. Mais c’est ainsi. Il faut admettre que les bâtiments, c’est comme les hommes, ça prend de l’âge, ça devient vieux, ça n’est plus fonctionnel ainsi qu’on le souhaiterait. Cela conduit en conséquence à la démolition. Pourvu quand même qu’ils nous laissent l’église au milieu du village!

De fameux gyms. Le dernier de ceux-ci nous a quitté en ce mois de mai 2022. Si tu ne fais pas le grand tour, t’es un chiard !

Souvenez-vous, plus en arrière. Les soirées, celles de l’Echo du Risoud en particulier, avec les pièces de théâtre qui clôturaient tout événement de ce type, on aime tant le théâtre à La Vallée, elles se faisaient au collège. Mais bientôt on convint que les locaux n’étaient vraiment plus adaptés et qu’il fallait faire comme partout ailleurs, construire une grande salle, soit un local des sociétés.

En consultant les archives du village, sous la lettre R, chapitre intitulé « construction et entretien local des Charbonnières », on peut découvrir les débuts de ce bâtiment. Un premier projet, de 1928, combinait la construction d’un bureau de poste avec appartement et salle des sociétés ou de gymnastique.

Le projet, un peu trop compliqué, resta dans les tiroirs pour ressortir pas loin d’une décennie plus tard, en 1937, désormais amputé de la poste. La construction serait assurée par une société qui remettrait un jour le bâtiment franc de dettes au village. Architecte Cerrutti de Cossonay-Gare. Le 5 octobre de cette année-là avait lieu le procès-verbal de la fondation de l’Association pour la construction et l’exploitation du local des Charbonnières. Une convention était signée quelques jours plus tard entre cette Association et le village lui-même pour le financement et l’exploitation du nouveau bâtiment qui serait construit en 1938.

Elles jouaient les élégantes.

Dès cette époque et jusqu’à aujourd’hui il allait rendre les services inestimables que l’on vient d’évoquer.

Restent en souvenir de ce bon vieux bâtiment les photos, celles ci-dessus et ci-dessous qui vont vous replonger avec émotion dans cette ambiance des temps passés, quand justement ce village avait une âme et vivait. Et surtout ne croyait pas qu’il pourrait un jour changer à un point tel que l’on verrait démolir son local sans que personne ne s’en attriste.

Mon pauvre local, c’est ici l’occasion de te saluer une dernière fois!

Rémy Rochat

De beaux lurons et de belles luronnes!
Ne pas oublier non plus l’activité très importante du Chœur-Mixte et de la Jeunesse des Charbonnières.
Année cinquante, en pleine jeunesse. Il a tout de même de l’allure, notre local !

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