Hivers d’antan à la Vallée de Joux

Les premiers flocons

Dansent dans le ciel bas

Ils se posent délicatement sur les champs

Caressent les grands sapins du Risoux

Nous les gamins

Le nez collé aux fenêtres

Tout excités

On crie de joie

En voyant cette féerie

Blanchir gentiment

Tout le monde alentour

La danse se transforme vite

En une cavalcade

Qui dévale du ciel

Le vent s’y met avec violence

Et c’est la tempête

On n’y voit plus rien

Tout est enveloppé

Dans un tourbillon blanc

Il neige

Un jour, deux jours, trois

La couche s’épaissit

Atténuant tous les bruits

De la civilisation

Puis

C’est la danse des chasse-neige

Qui commence

Ils passent et repassent

La neige ne s’arrête pas

Les semaines passent

Entrecoupées d’accalmies

Mais alors

La bise se lève

Rageante

Balayant la poudreuse

Et la chassant dans tous les recoins Colmatant les fenêtres et les embrasures des portes

Le pire

C’est qu’elle comble

Les routes de grosses congères

Le triangle ne passe plus

Ce sont les fraiseuses

Qui prennent la relève

Elle est même capable

De bloquer le train

La température chute

Parfois jusqu’à – 30°C

Alors l’air est rempli

De mille et une paillettes

Virevoltant dans l’atmosphère

Telles de minuscules diamants

C’est l’air qui gèle sur place

On se croirait dans le Grand-Nord

Mais on chausse tout de même

Les skis pour faire

De la randonnée en forêt

A l’abri de la bise

Pour apporter un peu de foin

Aux chevreuils affamés

Sur des luges attachées à notre taille

Toute une expédition

Les luges enfoncent

Le foin tombe

On se gèle les doigts

Mais on a fait une bonne œuvre

Pour ces pauvres bêtes

En ce temps-là

Le seul moyen de se déplacer

Sur cette couverture blanche

Etait le ski

A l’arrivée de l’hiver

Papa préparait nos skis

En les recouvrant d’une laque rouge

Dont j’aimais sentir l’odeur particulière

Mais malgré tout

Au bout d’un certain temps

Il fallait les farter

Sinon on ramassait

De gros sabots

Ce qu’on a pu pester

Avec ces sabots!

Pour faire une descente

Il fallait damer une piste

En remontant la pente

Les skis perpendiculaires

A celle-ci

Un pas après l’autre

Arrivés en-haut

L’ivresse de la descente

Nous attendait

Parfois

On ne pouvait même plus

Aller à l’école

La route étant totalement

Comblée par plus d’un mètre de neige

Et la bise soufflant en tempête

Une fois la route dégagée

Les gosses du hameau

Allaient à l’école en luge

On faisait de grands bobs

En se mettant à plat ventre

Pour accrocher la luge suivante

Avec les pieds

Puis il fallait ramer avec les mains

Pour faire démarrer le convoi

Et tel un serpent

On dévalait la route

A toute allure

On ne salait pas les routes

En ces temps-là

Combien de fois on a atterri dans les remparts

Pour en ressortir

Blancs comme les ours polaires

Et combien de fois sommes-nous

Arrivés en retard à l’école

Puis, lorsque le soleil réapparaissait

On s’en allait

Creuser des igloos

Dans les hautes congères

Avec la ramassoire à maman

Mais il n’y avait pas que la neige

Pour se dégourdir

Le lac également devenait attrayant

Quand il gelait

Il se transformait

En une immense patinoire

On pouvait patiner du Sentier au Pont

Environ sept kilomètres de glisse

On s’amusait aussi à faire peur aux adultes

Quand on se mettait à plusieurs

Sur une plaque de glace

Tous du même côté pour la faire basculer

Ce qui faisait monter l’eau par-dessus

Oh là-là!

Ces hivers étaient longs et très froids

Nous avons eu dormi

Habillés de pulls et anoraks

Notre haleine se transformant

En petits glaçons

Au-dessous des fenêtres

Même le verre d’eau

Gelait sur la table de la cuisine

Faut dire qu’on chauffait

Avec des fourneaux à bois

Qui s’éteignaient la nuit

Mais tôt le matin

Papa les allumait tous

Et on allait s’habiller

Tout près pour ne pas geler sur place

Dans la nuit du nouvel an

On avait la permission

D’aller se luger au clair de lune

Et des lampadaires

Quelle expérience enivrante!

Nous habitions un petit hameau

Où les routes sont un peu pentues

Pour notre plus grand bonheur

Les semaines s’égrenaient

Toutes aussi blanches

Les unes que les autres

Parfois il neigeait une couche de plus

Parfois le soleil brillait de mille feux

Sans pour autant réchauffer

Le paysage est féerique

Tout de blanc vêtu

Enveloppé de ce silence

Propre à la neige

Qui engloutit chaque petit bruit

Les quelques voitures d’alors

Se déplaçaient comme des ombres

Sans consistance et sans bruit

Chaque matin

Un valet passait avec son cheval blanc

Attelé à un traîneau

Il se rendait à la laiterie

Charger les boilles à lait

Pour les amener au Sentier

Un dimanche

Papa et moi sommes allés

Au culte avec la coccinelle

La bise commençait de se lever

Et la neige s’accumulait gentiment

Par endroit sur la chaussée

Il me dit qu’il faudra remonter tout de suite

Après le culte

Sinon

On pourrait rester coincés

C’était sans compter sur le fait

Qu’en sortant du culte

Un voisin qui était douanier

Nous a rejoints sur ses skis

Le visage couvert d’une pellicule de glace

Pour nous demander

D’aller chercher sa maman au train

Le train avait du retard

Nous avons embarqué la maman

Et avons entamé la remontée

Au hameau

Entre-temps

La bise s’est transformée en tempête

Et ce qui devait arriver

Arriva

La voiture s’est plantée

Dans une congère

La neige que papa enlevait à la pelle

Etait aussitôt remplacée

Par celle que la bise engouffrait

Sous le châssis

Il fallait laisser tourner le moteur

Pour que la vieille dame

Ne prenne pas froid

Finalement

Papa m’a envoyée

Chez le plus proche paysan

Pour qu’avec son tracteur

Il vienne nous tirer de cette

Mauvaise posture

La bise était si forte

Qu’elle me renversait presque

Les cristaux de neige

S’incrustaient dans ma peau

Et formaient une couche de glace

Sur mon visage

Je n’étais pas chaussée

Pour la neige

Mes pieds s’engourdissaient

J’ai finalement trouvé le paysan

Et il est venu sortir la coccinelle

De son piège glacial

Voilà le genre d’aventure

Qu’on pouvait vivre les hivers

A la Vallée de Joux

Mais finalement

Tous les hivers

Prennent fin un jour

A La Vallée

Cela ne se produisait pas

Avant le mois d’avril

Souvent

Nous avons roulé les œufs de Pâques

Dans la neige

Nous faisions aussi des lancers d’œufs

Qui s’enfonçaient profondément

Dans la neige

Et il arrivait qu’on ne les retrouve pas

Mais quand le printemps

Finissait de lécher la neige

On allait à leur recherche

Ils étaient restés consommables

Bien conservés

Dans leur gangue de neige

Une fois les prés débarrassés

De leur manteau blanc

Reverdissant petit à petit

Une autre neige venait

Recouvrir les pâturages

Celle de milliers et milliers de crocus

Un spectacle revigorant

Annonçant le début de la belle saison

C’étaient les hivers de mon enfance.

Mady Gagnebin-Tièche
Boqueran 7
2735 Bévilard

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