
Si je n’avais pas craint de fâcher le rédacteur en chef du journal, j’aurais envoyé un compte-rendu en une seule phrase : une pêche miraculeuse, du bonheur à l’état pur !
Car c‘est exactement ce que le large public présent au Temple du Lieu a ressenti à l’écoute du quintette MINKOVA, dans les deux partitions proposées : le quintette op. 74 de Ferdinand Ries et le quintette D 667, dit « La Truite », de Franz Schubert. Dans ce lieu empreint de sérénité, chaque accord a résonné comme une caresse. Un instant suspendu, hors du temps, où le cœur battait au rythme des archets, et où l’émotion, pure et cristalline, coulait comme une source.
Qui sont ces cinq magiciens ?
Formé en 2021 sur l’arc lémanique, ce quintette réunit l’Italie, la Bulgarie et la Suisse autour d’un même amour pour la musique de chambre : Sylvia Minkova-Warot à la contrebasse, Raya Raytcheva au violon, Davide Montagne à l’alto, François Grin au violoncelle, Irene Puccia au piano.
Avant d’évoquer les œuvres, il faut absolument que je m’arrête sur le lien invisible et puissant qui unit ces cinq magiciens. C’est une alchimie saisissante. Sous l’impulsion vibrante de la violoniste, un flux d’harmonie, d’énergie et de vivacité circule entre eux, comme une décharge électrique qui traverse les regards et fait palpiter l’ensemble. Je vous le disais : du bonheur à l’état pur !
Première œuvre : le quintette opus 74 de Ferdinand Ries
Parlons des œuvres, maintenant. Connaissiez-vous le composteur Ferdinand Ries ? Personnellement non. Ce fut une superbe découverte ! Élève d’abord, puis ami et biographe de Beethoven, Ferdinand Ries était aussi un pianiste virtuose et un compositeur qui s’est tout particulièrement intéressé à la musique de chambre. Son Quintette pour piano et cordes en si mineur (opus 74), fut composé à Londres en 1815. Dès le premier accord grave et dramatique, un monde sonore s’est ouvert. A la suite tantôt d’une ribambelle d’enfants joyeux et joueurs, tantôt de couples plus introvertis et méditatifs, nous avons plongé dans une cathédrale musicale, une des plus belles œuvres de Ferdinand Ries alliant virtuosité et profondeur dramatique.
La pianiste Irene Puccia a fait preuve d’une dextérité flamboyante. Les cordes ont apporté une richesse harmonique enivrante. À noter le magnifique solo de violoncelle au début du deuxième mouvement.
Soulignons encore la tonalité de l’œuvre : si mineur. Peu utilisée dans la musique de chambre classique, elle attire l’attention par son caractère inhabituel. Lorsqu’un compositeur la choisit, c’est souvent pour exprimer une intensité dramatique ou une gravité particulière. Dans ce quintette,
F. Ries joue sur les contrastes entre les moments sombres du si mineur et les modulations vers des tonalités majeures plus claires. Cela accentue les reliefs expressifs et donne une dynamique dramatique à l’œuvre.
Deuxième œuvre : le quintette en la majeur D 667, « La Truite », de Franz Schubert
Composé quelques années plus tard, en 1819, Schubert a 22 ans, ce quintette est célèbre pour la reprise du thème de son Lied « La Truite » (lied basé sur un poème de C. F. D. Schubart), dans le quatrième mouvement. Mais ce n’est pas tout ! Cette œuvre phare de la musique de chambre, possède la particularité d’être écrite pour 5 instruments différents un violon, un alto, un violoncelle, une contrebasse et piano. C’est également le seul quintette que Schubert ait écrit avec piano. La présence de la contrebasse aux côtés du violoncelle permet au compositeur de mettre différemment en valeur ce second instrument, en lui confiant plusieurs passages mélodiques. Cette partition nous a ravi par la justesse de son tempo et ses nuances touchantes. Une interprétation d’autant plus remarquable que s’attaquer à une œuvre aussi emblématique représente toujours un défi : chaque inflexion est scrutée, chaque respiration comparée aux innombrables lectures qui l’ont précédée. Nous nous sommes donc laissé emporter avec ravissement dans ce labyrinthe de modulations schubertiennes. Nous étions à deux doigts de nous mettre à fredonner la partition !
En Bis
Sous un tonnerre d’applaudissements… une standing ovation, s’il vous plaît ! … les musiciens ont choisi de mettre un point final flamboyant en nous offrant « La Danse du Feu », tirée de « l’Amour Sorcier » de Manuel de Falla, dans un arrangement du compositeur lui-même. L’émerveillement était à son comble !
Pour les Rencontres Musicales de la Vallée de Joux
Christine Magro

