Sous-jacentes à l’opinion politique : les profondeurs stratifiées du référentiel

À l’instigation d’une poignée d’experts ès baratins, l’exercice politique se voit régulièrement ramené au canon d’une Communication inane certes, mais requise par une gouvernance « à la page», dernier avatar en matière de séduction des masses. Ne parlons pas de ces amas de «vérités alternatives » censées faire échec au « diktat de la pensée unique », de ces relents conspirationnistes fétides, ou bien encore de ces hordes ignares menant assaut contre le siège d’institutions démocratiques, « au nom du Peuple » ! Ce caquetage communicationnel omniprésent, cette infestation de « fake news », ces éruptions insurrectionnelles à la Trump, tous ces facteurs abêtissent l’Homme, et sont de nature à le réduire dans l’enclos du grégarisme, ou à le tenir dans les lisières de l’infantilisme.

– Il est essentiel que puisse avoir lieu un débat éclairé, adossé à des informations dûment vérifiées et pertinemment interprétées, à telle enseigne que l’institution politique a vocation à procéder de l’exercice de la raison argumentative.

En tant que telle, la connaissance n’apparaît qu’à partir de l’instant où l’information perçue est analysée et interprétée, c’est-à-dire chargée d’un sémantisme. Or l’attribution d’un sens nécessite les ressources d’un patrimoine cognitif sine qua non. Ainsi, tout à la fois produit et présupposition, la connaissance se présente-t-elle sous les espèces d’une information pourvue de sens, et d’un référentiel autorisant l’attribution de sens. En matière de politique, l’interprétation de l’information et la formation de l’opinion susceptible d’en résulter appellent le truchement d’un fonds de culture politique, la vertu d’un référentiel à défaut duquel un débat sensé ne pourrait advenir. Hic jacet lepus !

Si nécessaires soient-ils, de tels référentiels ne sont ni d’une portée universelle, ni structurellement homogènes, ni même immuables. Composés de strates insensiblement déposées par le flot turbulent de l’Histoire, ces bassins sédimentaires ne cessent de se constituer. La stabilité relative de leurs strates est proportionnelle à leur profondeur. Les plus enfouies d’entre elles plongent dans l’inconscient collectif, portant l’empreinte d’une civilisation millénaire. Viennent ensuite des couches de formation plus récente: aires linguistiques, cultures, religions… Puis des strates dénotant la controverse, le conflit, voire la guerre: doctrines politiques, revendications nationalistes, dogmes en tous genres… Plus proches ces strates sont-elles du sol que nous foulons, et plus elles sont marquées de particularités: condition sociale, milieu familial, degré d’instruction… Enfin, affleurant à la conscience individuelle, apparaît le contexte situationnel auquel l’Homme est abruptement confronté, moment décisif.

– Seraient-ils possibles, des carottages pratiqués dans l’épaisseur de ces bassins référentiels révéleraient l’empilement complexe des facteurs ayant déterminé la décision finale, l’opinion arrêtée, montrant pourquoi deux sujets placés dans un contexte apparemment identique peuvent réagir de façon diamétralement opposée.

La modernité politique tient à l’institutionnalisation du Conflit, lequel, nolens volens, est inhérent à la nature de l’Homme. La genèse institutionnelle doit avoir pour origine un débat réglé sur une argumentation pourvoyeuse de raisons – mais de raisons non coercitives –, seule voie permettant de parer deux écueils mortels pour nos démocraties: l’adhésion forcée à un ordre présenté comme universellement valable, ou l’usage de la suggestion, de la ruse, de l’intimidation, voire de la violence, pour faire prévaloir des opinions et des décisions arbitraires.

François Mastrangelo

Laisser un commentaire